Témoignage de Claude-Louis Renard :

« Au tout début des années 1970, le projet de construction d’un nouveau siège social de Renault à Boulogne-Billancourt par Oscar Niemeyer fut l’occasion pour moi d’approcher les problèmes que posait l’intégration des œuvres à l’architecture.

 

Grande Ecriture, Carres vibrants et plafond, Integrations, 1974 photo: Guy BouletLa participation aux réunions hebdomadaires de travail de l’équipe réunissant l’architecte et ses collaborateurs directs, les responsables du cahier des charges et certains des futurs utilisateurs, me permirent de mieux évaluer les marges d’intervention possibles, les limites imposées par telle ou telle localisation, le degré de réalité des surcoûts invoqués, les contraintes incontournables que devaient respecter les artistes, tout comme les modifications qu’un véritable architecte pouvait concéder.

Tout avait pourtant très mal commencé. Après l’abandon brutal du projet Niemeyer, j’avais été très surpris d’apprendre que le premier projet qui lui succédait immédiatement, réduit à trois immeubles de type administratif, était associé à des plans d’aménagement intérieur confiés à un décorateur professionnel et ne comportant pas d’interventions d’artistes. Pierre Dreyfus eut l’indulgence d’écouter mes protestations véhémentes, la répartie de me demander de lui soumettre des contre-propositions, et le courage de les accepter d’emblée, bien que plusieurs d’entre elles ne correspondaient guère à son univers personnel, qu’elles dérangeaient une partie de son entourage, et que cette décision impliquait l’arrêt définitif des travaux réalisés par le décorateur.

 

Panneaux en aluminium anodise, 1974 J’avais l’ambition, par ces propositions, de mettre le personnel et les visiteurs en présence de quelques manifestations de l’art de l’époque, en associant, pour commencer, dans un même lieu et en contrepoint, deux types de créations antinomiques.

Ils pourraient découvrir à la fois des oeuvres monumentales de quelques artistes au langage apparemment clair et simple à appréhender, en premier lieu Soto et Victor Vasarely, Arman et Takis, et, simultanément, dans l’espace compris à l’extérieur entre les bâtiments et dans plusieurs salles, ils seraient confrontés à l’Hourloupe de Jean Dubuffet, à ses tracés déstabilisants et à son bouleversement des repères pouvant être perçus comme une invitation à des cheminements différents.

 

 

Accumulation Renault - Elements de moteur (culasses) 247 x 628 cm, 1974 Panneaux decoupes (18 en totalité composant le Roman de Renard) , 1974

 

Peinture formant une frise (vue partielle), acrylique sur toile, 1975Pour certains, en particulier pour les membres de la Direction Générale à qui étaient en priorité réservées ces salles, l’ensemble des découpes de Jean Dubuffet était considéré comme une véritable provocation intellectuelle et une remise en question fondamentale. Au même moment, Julio Le Parc, par son intervention à la cafétéria, et Luis Tomasello, qui conçut totalement la grande salle de conférence, complétèrent ce premier groupe d’intégrations, tandis que Jean Dewasne réalisait pour le bâtiment des ordinateurs quatre peintures murales monumentales, auxquelles devaient s’ajouter, quelques années plus tard, une autre oeuvre de grande dimension commandée à la suite d’une suggestion d’une partie du personnel de cet immeuble.

 

 

 

Sans titre (acrylique sur toile) 120 x 365 cm, 1978 Peinture glycerophtalique sur bois, 1974

 

 

 

Sam Francis fit une grande peinture murale pour le bureau du Président. Tous ces premiers projets d’intégrations furent pratiquement lancés simultanément en 1973-1974.

 

Maquette au 1/10 du monument Salon d Ete, Epoxy peinte au polyurethane, 1974 Jean Dubuffet, avec la même vitalité et la même ardeur que pour les salles à manger, s’attaqua en 1973, à la conception d’un environnement monumental, Le Salon d’Eté prévu pour l’esplanade du Siège, l’une des créations les plus complexes de son auteur. L’acceptation de la maquette par Pierre Dreyfus permit alors d’espérer que cette oeuvre exceptionnelle serait bientôt construite. L’histoire dramatique de son édification, les défaillances découvertes et les entraves de tous ordres rencontrées, trahirent la différence de potentiel entre l’imagination créatrice de l’artiste et la capacité de ceux qui, d’un côté comme de l’autre, avaient la responsabilité des études et de la réalisation.

 

En effet, au bout d’un an d’études et à la suite de l’expertise de Jean Prouvé, le budget se révéla près de dix fois supérieur à celui accepté au départ. En 1975, Jean Dubuffet engagea un procès contre la Régie Renault (qui dura 8 ans) pour dénoncer l’arrêt brutal de la construction du Monument qui lui avait été commandé.

 

Integration au Centre de Recherche de Rueil, serigraphie sur formica, 1977

 

 

Les intégrations à l’architecture du Siège étant achevées, nous avons pu étendre celles-ci au dehors, au Centre de Recherches de Rueil, avec des interventions dues à Simon Hantaï (1976) et à Jean Degottex (1980). Plus ambitieuse encore, la commande à Gottfried Honegger de la « mise en couleur » dès son élaboration d’une usine à Cacia, au Portugal.

 

Extrait d’interview de Germain Viatte Extrait d’interview de Yves Michaud