Extrait d’interview de Catherine Millet Extrait d’interview de Germain Viatte

 

Témoignage de Claude-Louis Renard :

 

senanque2-vig » A la suite de l’augmentation du nombre de dotations attribuées, il devenait difficile de présenter au public au moins une partie des œuvres incitées que les institutions culturelles ne pouvaient inclure dans leur programmation. Seule, la disposition d’un centre d’exposition autonome pouvait résoudre ce problème. En 1975, nous avons eu l’opportunité d’implanter ce centre à l’ Abbaye de Sénanque dans le Vaucluse, hors du contexte parisien, à une époque où les FRAC n’existaient pas encore et où en province très peu de musées ou de fondations se consacraient à l’art contemporain. Les salles d’exposition dont nous avons disposées à partir de 1977 à l’abbaye de Sénanque, nous ont permis de montrer les œuvres issues des incitations. Le programme s’organisait autour de deux à quatre expositions par an, d’artistes vivants présentant des œuvres nouvelles jamais montrées au public auparavant. Nous portions une attention particulière aux artistes majeurs de la scène internationale alors peu présentés en France.

En 1977 fut fondée une Association loi de 1901 « Centre International de Création Artistique de Sénanque », renommée en 1980 « L’Incitation à la Création ».
Par son action, elle suscita auprès des artistes des recherches et des œuvres nouvelles créées spécifiquement à notre demande.
Elle participa à la prise en charge des travaux nécessaires à leur préparation, leur exécution, et leur présentation.
Elle favorisa leur diffusion par des expositions établissant une coopération nationale et internationale avec les autres organismes concernés.

Depuis son origine le Président fut Bernard Hanon, l’administrateur délégué Claude-Louis Renard, le trésorier Christian Dor et la directrice Micheline Renard. Cette association assumant progressivement l’ensemble des actions hors du périmètre Renault nous permit d’affirmer vis-à-vis des milieux culturels et du public un comportement et une déontologie très proches de ceux d’une fondation, (sans nous obliger à disposer des moyens financiers étendus que ce mot de fondation associé directement au nom de Renault laisserait supposer à certains de nos partenaires), de rester à l’évidence étranger à toute spéculation financière, d’apparaître fondamentalement distinct de la publicité et des relations publiques et de nous assurer de surcroît la discrétion mesurée que ce type d’activité requiert. Cette Association était liée à la Régie par un contrat renouvelable tous les trois ans.

Nous avions la volonté d’offrir une expérience unique à de jeunes artistes. Sortant des écoles des Beaux-Arts de Nîmes, Montpellier, Marseille, souvent recommandés par Claude Viallat, ils assuraient à tour de rôle l’accueil, un moyen pour eux de se familiariser avec le public qui serait le leur plus tard. La préparation des expositions, la rencontre avec leurs aînés, leur permettaient de prendre conscience de certaines réalités du monde de l’art. Par ailleurs, tout en étant rémunérés et logés à l’Abbaye, ils disposaient d’ateliers où ils pouvaient travailler sur leur temps libre. Ils avaient, en outre, la perspective d’exposer le résultat de leurs travaux quand ils les estimaient suffisamment aboutis, dans les mêmes conditions que les artistes reconnus. Chaque exposition donnait lieu à la publication d’un catalogue comprenant un texte d’un critique ou écrivain choisi en connivence avec l’artiste et à l’édition d’une affiche. Une bonne connaissance du milieu de l’art nous permettait de faire venir pour chaque exposition, directeurs de musées, marchands, critiques, collectionneurs européens et américains. Nous bénéficions également des nombreux visiteurs de l’Abbaye elle-même. La situation géographique dans le Sud de la France favorisait les relations avec la région, l’Espagne et en particulier Barcelone.

La vingtaine d’expositions individuelles présentées à l’Abbaye fut une nouvelle source d’enrichissement pour le patrimoine de l’entreprise, en raison des oeuvres que nous pouvions choisir dans ces expositions, à la suite des dotations supplémentaires qui avaient été attribuées. Suivant l’état fluctuant de nos finances, d’une année à l’autre, nous pouvions faire une affiche et un catalogue ou seulement un dépliant, d’où des différences de traitement qui n’ont rien à voir avec l’importance à nos yeux de l’artiste. C’était également l’occasion de demander à un écrivain ou à un critique d’éclairer le travail de l’artiste avec une seule spécification : ne pas jargonner, penser au public. Ceci nous a donné l’immense privilège de rencontrer, entre atres, Cioran, Jabès, Duby.

Les expositions étaient très souvent reprises, totalement ou partiellement, par d’autres institutions en France ou à l’étranger, par exemple, le Musée d’Art Moderne de la Ville de Paris, le CAPC de Bordeaux, le Louisiana Museum (Danemark), le Stedelijk Museum d’Amsterdam…

En 1985, après dix années d’expositions à l’Abbaye de Sénanque, les moines propriétaires décidèrent de réintégrer le lieu. En 1985, grâce au soutien de Monsieur Jack Lang alors Ministre de la Culture , nous avons donc déménagé à l’Abbaye de Montmajour, à trois kilomètres d’Arles, bénéficiant à nouveau d’un lieu prestigieux et fréquenté où, à la suite d’un contrat passé avec l’Etat, des salles furent aménagées pour présenter l’art contemporain. Nous avons pris le risque d’inaugurer ce centre malgré les difficultés de Renault à l’époque, en faisant le pari d’une amélioration rapide de la situation. Les Monuments Historiques ayant fait un grand effort de réhabilitation, nous avons pu ouvrir avec une exposition très forte de Chillida présentée dans des salles beaucoup plus spacieuses que celles dont nous disposions à Sénanque. (Nous nous sommes rendu compte à cette occasion que Chillida n’avait pas eu d’exposition en France, excepté dans sa galerie parisienne.)

montmajour2-vigExtrait d’interview d’Erró

En 1986, la Direction du Patrimoine, responsable de l’Abbaye de Montmajour (classée Monument Historique) demanda que le centre d’art reste ouvert toute l’année au lieu de la seule période d’été. Pour ce faire, il avait été imaginé de commander progressivement à quelques artistes de réputation internationale des ensembles d’œuvres spécialement conçues pour l’Abbaye et dont l’exposition aurait créé un intérêt suffisant pour attirer un public à Montmajour hors saison. Sam Francis et Jean Tinguely vinrent à l’abbaye, furent enthousiasmés par le projet et acceptèrent de travailler à des œuvres d’une ampleur que nous n’avions pas osé imaginer. Ces projets durent être abandonnés, de même que ceux de Rosenquist et Ed Ruscha, à cause de l’aggravation de la situation financière de Renault et du changement de Direction.

 

 

Nous avons continué à organiser des expositions à Montmajour jusqu’en 1987. Lorsque l’Association fut reprise par Jean Hamon en 1988, il choisit de concentrer ses efforts sur la région parisienne où il projetait d’ouvrir une fondation. »