Témoignage de Claude-Louis Renard, Extrait d’une discussion avec Michel Ragon, le 27/01/1973

« J’avais proposé à Jean-Pierre Raynaud, de donner libre cours à ses réactions face à un monde dont il parlait souvent, qui par moment l’obsédait et qu’il ne savait pas très bien comment aborder.

Pendant des années il avait tenté d’extérioriser sa fascination, ses obsessions d’individu aux prises avec des problèmes d’ordre privé. Dans nos conservations, il apparaissait qu’il voulait élargir en quelque sorte son champ d’action et se mettre face à un monde qu’il pressentait, qu’il ignorait plus ou moins, mais auquel il savait qu’il ne pouvait échapper.

La version initiale de son exposition était une suite de psycho-objets très proches de ses premières œuvres, si ce n’est que l’échelle était complètement différente et que des photographies prises dans l’univers industriel servaient en quelque sorte de contrepoint à des objets usuels. Jean-Pierre Raynaud, avec beaucoup de justesse à mon avis, avait choisi une photographie d’un fragment de container constitué essentiellement d’une tôle pliée très dure, très lourde, de grosses charnières, d’éléments d’inscription avec des lettres majuscules. Si vous photographiez à l’échelle 1/1 un fragment de 2 m sur 2 m d’un tel container qui doit faire une dizaine de mètres sur trois, vous avez quelque chose à la fois d’anonyme, absolument pas anecdotique et qui témoigne de certaines caractéristiques de base du monde industriel. Ce choix est très remarquable. En rapport avec cette photographie venait jouer un bouquet de fleurs, un élément d’automobile, ou un autre objet qui créait la tension entre cet univers industriel et, disons, l’individu isolé. C’était cela la première version. Je ne vous cache pas que j’étais très attaché à cette exposition.

Il s’est alors passé la chose suivante : au fur et à mesure que le projet s’élaborait, Jean-Pierre Raynaud s’est rendu compte qu’il était en train de faire une nouvelle série de psycho-objets, sans résoudre le problème qui était le sien à cette époque, mais au contraire en l’élargissant. J’ai assisté, pendant près d’une année, à une série de va-et-vient, d’aller et de retour où, tout en conservant ce schéma de base, il voulait introduire une autre dimension : les couleurs rouge vert jaune bleu. Au départ, il y avait cet élément de fond photographique et puis les objets en quatre couleurs et, peu à peu, l’aspect psycho-objet a complètement disparu; son exposition s’est vidée de cette tension entre deux univers différents, pour aboutir à une proposition d’objets choisis par lui déclinés sur un fond blanc dans ces quatre couleurs.

Et du coup,  l’aspect « produit » de la Régie Renault a été mis en avant. Alors qu’en réalité, ce qui était important c’était à la fois l’anonymat de l’objet – il a choisi la Renault 4L parce qu’elle était neutre, ce n’était pas une voiture choisie pour son style mais la voiture utilitaire – et, pour lui ce qui venait en avant c’était la proposition en quatre couleurs. Mais le public non préparé a vu d’abord, qu’il avait utilisé des automobiles.

En résumé, de 1969 à 1971, Jean-Pierre Raynaud a successivement mis au point ces deux projets. Il m’était facile à l’époque d’arrêter le jeu à un moment donné et de dire : il faut faire l’exposition maintenant. Mais la discussion ne portait pas sur la nécessité de la montrer rapidement, mais plutôt de s’interroger : est-ce que vous estimez, vous créateur, que vous êtes allé au bout du problème posé au départ, ou bien est-ce simplement une première peau, une approche dont on a pu prendre conscience ?

Jean-Pierre Raynaud a répondu : c’est une exposition : je peux la réaliser si vous voulez, je la signe, mais ce n’est pas vraiment ce que je voudrais faire, maintenant je sais ce à quoi je veux m’attaquer.

Et je crois que la qualité de notre activité, c’est justement d’avoir comme préalable le fait qu’un artiste pouvait dire : je m’arrête, je réfléchis, je m’occupe d’autres choses pendant un certain temps et je recommence. Ceci serait impossible s’il s’agissait d’opérations de relations publiques ou de produire coûte que coûte une exposition. »

Témoignage de Jean-Pierre Raynaud, extrait de Renault magazine, n° 79, octobre 1974, p. 49

 » … Il y a trois ans, lorsque je me suis mis à travailler en liaison avec la Régie, étant donné mon intérêt pour le monde industriel, j’ai commencé par tourner dans les ateliers. Je ne voulais pas employer le monde industriel pour lui-même. Je suis resté six mois comme ça. C’est tellement fascinant, ces machines incroyables. Et tout ça en couleurs… «