Lettre de Jean Dubuffet à Claude-Louis Renard datée du 30 août 1974

Jean Dubuffet extrait du  »  Petit Messager du Salon d’Eté  » n° 1 / Ier Août I977

Le Salon d’Eté : une œuvre d’art habitable

 

 » L’ensemble du Salon d’Eté s’inscrit dans un rectangle de 58 x 46 m . Sa superficie au sol est d’environ 1800 m2 . Il est conçu pour évoquer l’entour d’un paysage arborescent ou, plus exactement, le simulacre d’un tel site à partir d’une algèbre mentale qui, prenant vie propre et corporalité, s’épanouit en la forme d’un paysage déconcertant. Tout le site et son sol sont partout sculptés et historiés de peintures en blanc, noir et bleu. Y sont utilisés des peintures polyuréthane employées pour les signalisations peintes au sol des aéroports et sur lesquelles on peut sans dommage marcher.

Au centre est un bassin de 300 m2 de contour capricieux et dont le fond est sculpté et peint en même façon que le reste, avec des éléments de reliefs différents dont les uns émergent et d’autres affleurent ou sont immergés. Y court une eau turbulente peu profonde. Il est entouré d’un ample dispositif dont le sol présente aussi des niveaux différents et des cheminements labyrinthiques menant à des petits lieux à demi distincts et refermés où s’asseoir et converser. De nombreux éléments à hauteur de siège permettent à trois cent personnes d’y être assises en même temps. Des murs sinueux qui, par endroits, s’élèvent autour, enclosent l’ensemble en abritant des regards, du soleil et du vent. La hauteur varie de trois mètres à cinq mètres. S’érigent, en outre, ici et là, des éléments en façon de fûts d’arbres hauts de cinq à huit mètres et dont certains sont coiffés de nappes horizontales qui évoquent les unes le feuillage des arbres ou bien les autres des nuages et qui par ailleurs préservent de la pluie.

Il a été recherché que l’ensemble provoque un effet de dépaysement et d’activation mentale et aussi qu’il soit frappant, à la fois par son caractère formel et poétique inédit et aussi par ses recours techniques offrant l’aspect d’une performance qui illustre la technologie de la Régie.

La construction est réalisée partie en béton et partie en polyester.  »

 

Les problèmes de construction:

 

Jean Dubuffet, en liaison avec les services spécialisés de la Régie et après des dessins préalables, réalisa une grande maquette à l’échelle de 1/10 en polystyrène expansé, historiée de peinture en trois couleurs (blanc, noir et bleu). Celle-ci fut agréée en septembre 1974. L’étude de la construction fut aussitôt entreprise par l’architecte de la Régie assisté par des ingénieurs qualifiés. La confection des éléments en résine stratifiée fut confiée à une entreprise de Nouan-sur-Loire.

 

Debut de construction - 1975 Après le renforcement de la dalle de béton sur laquelle allait se situer le monument, et au-dessous de laquelle se trouvaient les parkings, les travaux commencèrent dès janvier 1975 et furent conduits activement dans les mois suivants. En juin 1975, fut amené de l’usine et mis en place tout le fond sculpté du bassin constitué de 65 pièces de polyester s’emboîtant comme un puzzle. Il apparut alors à Jean Dubuffet que les formes n’étaient pas pleinement satisfaisantes, les arrêtes notamment se présentant un peu amollies et qu’il y avait lieu pour parfaire l’exécution qu’interviennent deux artistes qui apporteraient, sous les directives de l’auteur, les retouches nécessaires. Simultanément, M. Jean Prouvé fut désigné pour re-estimer les questions de méthodes, de conception, de matériaux et de budget. Il fît appel à un constructeur de bateaux en polyester armé. Le devis pour construire les éléments du Salon d’été s’élevait alors à un milliard de francs, soit au moins 3 fois le budget annoncé.

Il apparut alors une autre chose aussi préoccupante, c’est que l’étanchéité de la dalle sous-jacente sur laquelle étaient posées les pièces de polyester formant le fond du bassin était imparfaite.

 

 

A ce moment là, dans l’attente d’une solution définitive concernant à la fois l’étanchéité et les éléments de polyester, le chantier fut recouvert de gazon. Jean Dubuffet engagea alors un procès contre la Régie Renault pour démolition de son œuvre inachevée. Après huit ans de controverses, les magistrats firent droit à la protestation contre la destruction de cette œuvre. Jean Dubuffet fut alors autorisé à imposer la réalisation du monument. Mais il répondit : « C’est maintenant moi qui refuse (non sans tristesse) que la Régie Renault se voit gratifiée de ce Salon d’été. Ne restera de ce projet, qui avait été pour moi si excitant, et qui, je crois, aurait pu l’être aussi pour le public, que son souvenir. «