Nous avons rêvé ……

Ma rencontre avec Claude Renard et la longue amitié qui nous lie revêtent pour moi une grande importance. C’était l’une de ces personnalités convaincues – comme je le suis moi-même – de la mission sociale de l’art.

L’artiste est seul dans son studio, son atelier, dans le dialogue avec son œuvre. Pourtant, l’art est information . Il a besoin du spectateur pour exister, pour acquérir un sens. Car il en va ainsi que le disait Marcel Duchamp : « L’artiste crée l’œuvre, le spectateur lui donne son sens. »

Ce spectateur, c’est celui, en tout cas nous l’espérons, que l’art incite à l’action créative. Or, justement, combien y a-t-il de spectateurs qui ont des yeux pensants pour lesquels l’art est une nécessité existentielle ?

Durant ma longue existence, j’ai eu si souvent l’occasion de constater à quel point le discours sur l’art peut se montrer superficiel, amusé et bête.

Voir l’art, ressentir l’art, n’est pas quelque chose de gratuit. Il faut apprendre à voir, il faut lui donner de son temps. Pour juger, on doit faire l’expérience de l’art, en connaître la diversité. Oui – il faut aimer l’art comme une nourriture spirituelle que l’on absorbe en soi. L’art est un miracle et, pour agir, les miracles ont besoin d’yeux ouverts, d’un esprit ouvert, de l’absence de préjugés.

Claude Renard était un artiste de la vue. Son œuvre était la vue créative, la conscience de ce que l’art est une partie de l’humanisme de l’éthique. Il voulait la possibilité pour beaucoup de vivre avec l’art au quotidien. Il croyait que l’art, que la beauté, sont aussi une thérapie. A une époque telle que la nôtre où la consommation fausse notre vue, l’art contribue sans nul doute à nous éclairer.

Son travail à la Régie Renault a été pendant de longues années une sorte d’école de la vue. Il a donné à l’entreprise une culture et créé ainsi en France un modèle pour l’art sur le lieu de travail. De cette façon, au contact quotidien de l’art d’aujourd’hui, les hommes et les femmes actifs ont pu s’en faire leur propre image. A une époque où pèse la menace du chômage, où l’ensemble de notre écosystème se transforme et où tant de laideur nous rend malades, l’art, au milieu de l’obscurité de l’esprit des temps, représente comme une lumière, une source de pureté.

Claude Renard ne s’est pas laissé abuser. Il avait du courage et de la passion pour l’art d’aujourd’hui. Il a pu choisir sans se préoccuper de louanges bon marché. L’art véhiculé par Claude Renard était espoir, vision, vérité.

Notre collaboration était faite de soutien et d’éloges mutuels. L’optimisme y régnait en maître. La foi en un monde nouveau, meilleur.

Je me rappelle mon exposition à l’Abbaye de Sénanques, près de Gordes, en 1978. C’était une œuvre d’art totale mêlant l’architecture, les chants grégoriens et mes toiles. Un festival de pureté des sens . Quel plaisir n’avons-nous pas éprouvé là-bas à vivre l’art dans toute sa plénitude en un lieu étranger au commerce.

Oui – Claude Renard était un être créatif. Il vivait dans un monde sans péché. Il avait de l’humour. C’était un initié. Quelqu’un qui agissait.

Et ensuite les commandes de la Régie Renault. Elles m’ont donné le courage de passer du petit format à l’échelle murale. A Ivry, dans la banlieue parisienne, j’ai loué un bâtiment d’usine inoccupé. C’est là que j’ai imaginé et réalisé les grands graphites en deux et trois parties. Grâce à ces commandes j’ai trouvé la confiance en moi, le courage nécessaire, pour aller jusqu’à l’extrême. Et alors s’est produit un miracle. Claude Renard m’a chargé du chantier d’une fonderie et de la décoration des murs extérieurs des ateliers de mécanique de la Régie Renault à Caccia au Portugal. Ce fut une mission qui est restée pour moi jusqu’à ce jour une apogée. Cette commande m’a permis de saisir la relation qui unit le tableau et l’architecture. J’ai appris que le tableau doit faire partie de l’espace. Cela m’a ouvert un nouveau regard, une nouvelle fonction de l’art. C’était le temps où grâce au scientifique Jacques Monod, je déterminais mes travaux selon la mathématique du hasard. Au Portugal, j’ai eu la possibilité d’exploiter à fond en nature ce principe de conception. Tous ces travaux sont pour moi des exemples témoins d’une époque . A mes côtés, il y avait toujours Claude Renard. Son cahier des charges était clair, fonctionnel et ouvert à l’inattendu.

Nous avons passé un grand nombre d’heures l’un avec l’autre en dehors de l’art. Sa femme Micheline et ma compagne Sybil Albers – nous pouvions rire, critiquer, louer, parler de l’art et du monde. Mais de telles soirées étaient toujours, pour nous tous, synonymes de bien-être, de moments de reconnaissance. Micheline et Claude nous racontaient leur projet d’écriture d’un livre sur l’histoire de l’art. Le jeu des questions et réponses était la qualité intellectuelle qui nous a donné à tous la force de continuer à réaliser, de continuer à espérer, de continuer à lutter pour la mission sociale de l’art.

 
Claude Tu nous manques

 

Claude Tu as
rêvé
Claude Tu as
eu la foi
Claude Tu as
une vision
Claude Tu as
gagné
 

 

Ta vie, Claude, appartenait à l’art.

 

Gottfried Honegger